La grande pitié des oiseaux de France

1932. Déjà inquiétant à l'époque ! Un article du journal Le Temps (21 août).
(source : gallica.bnf.fr)

LA GRANDE PITIÉ DES OISEAUX
de France

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La diminution du gibier dont paraissent se plaindre la plupart des chasseurs n'est rien à côté de la diminution des oiseaux; il est des hôtes de nos bois et de nos plaines qui diminuent avec une régularité plus grande encore que le gibier : les oiseaux disparaissent. D'année en année les hirondelles sont de moins en moins nombreuses, et il en est de même de la plupart de nos passereaux indigènes sédentaires, ainsi que de toutes les espèces qui visitent notre pays. Si dans tous les pays, ou à peu près, des dispositions législatives ont été prises pour protéger les oiseaux et principalement les oiseaux insectivores, ces dispositions, hélas ne sont pas appliquées avec la sévérité désirable, disons même indispensable.

Le président Méline, alors qu'il était ministre de l'agriculture, écrivait : « II est nécessaire que les pouvoirs publics de France et ceux des pays adhérents à la Convention internationale veuillent bien tenir la main à l'application de cette convention. Si l'on ne remédie pas à la situation, la France ne sera plus, comme beaucoup d'autres pays, qu'un désert ravagé par les insectes que les oiseaux trop peu nombreux n'arriveront plus à détruire. »

La Ligue française pour la protection des oiseaux — qui vient de tenir son assemblée générale annuelle — fait une propagande incessante, suivant les crédits dont elle dispose, crédits qui sont loin, bien loin d'atteindre ceux dont dispose la Société protectrice des animaux, pour qu'on laisse les oiseaux tranquilles, qu'on les protège contre leurs ennemis,qu'on leur ménage des abris et qu'on leur fournisse de la nourriture pendant la mauvaise saison.

Si tout le monde, en France, se rendait compte que la conservation des oiseaux est indispensable à l'agriculture, nul doute que tout un « chacun » s'efforcerait de protéger au moins les espèces protégées par la Convention internationale de 1902, maintenue en vertu du traité de paix entre les puissances alliées et associées et l'Allemagne, et du protocole signé à Versailles le 28 juin 1919 (partie X, clauses économiques, sect. I, art. 282, numéro 25).

Dès la plus haute antiquité, l'utilité des oiseaux a été reconnue et proclamée même sur les tréteaux des théâtres : Aristophane, dans les "Oiseaux, leur fait dire « C'est à nous maintenant que tous les mortels offriront leurs sacrifices et leurs Prières. Rien n'échappe à notre vue et à notre puissance. Nos regards embrassent l'univers. Nous préservons le fruit dans la fleur en détruisant ces mille espèces d'insectes voraces nés de la terre; qui se nourrissent des germes à peine formés dans le calice. Nous détruisons aussi ceux qui dévastent les parterres embaumés. Tous les êtres rampants et rongeurs périssent sous nos coups. »

Le grand entomologiste J.-Henri Fabre — ce génie si longtemps méconnu — a écrit avec la justesse de vue et d'observation qui était une des caractéristiques de sa science « Mangeurs de grains, mangeurs d'insectes, gros becs et becs fins, qui plus, qui moins, nous viennent tous en aide. Les hommes sont fous et commettent un crime en tuant les petits oiseaux, joie de la campagne et sauvegarde de nos récoltes. »

Les sévères « ordonnances, édits, déclarations et règlements sur le fait des chasses qui furent en vigueur et que la monarchie fit toujours appliquer, jusqu'à la loi de répression du braconnage qu'est la loi de 1844, ont fait que le Français moyen, né chasseur, s'est rabattu sur le seul gibier qui lui était permis : les petits oiseaux. Il usa et abusa des tolérances à tel point que les ordonnances de 1601 et de 1762 spécifièrent que « les oiseleurs qui auront eu permission de prendre de menus oiseaux avec des filets et autres engins ne pourront prendre ni retenir avec les dits filets ou autres engins, les bécasses, cailles, ramiers, pluviers, bisets, et autres gibiers de plume, à peine d'être punis comme braconniers ».

La capture des petits oiseaux a été ainsi implantée dans les mœurs. La loi de 1844 prohibe la pose et l'emploi des pièges, cages, lacets, gluaux et tous autres moyens quelconques ayant pour objet de faciliter la, capture ou la destruction en masse des oiseaux: cependant, dans certains de nos départements, les préfets tolèrent. Comme l'a écrit un poète, Alexis Monzin :

« Qu'on vous tue oisillons, 'est crime, c'est folie;
Mais beaucoup d'électeurs vous mangeant, je prévois
Que la loi meurtrière est loin d'être abolie.
Ah ! Si nos députés comptaient avec vos voix !

Mais les tribunaux ont déclaré qu'ils ne connaissaient pas les « tolérances préfectorales ».
Toute association agricole a le droit, en cas d'infraction dûment constatée, de se porter partie civile devant les tribunaux, avec certitude de succès, puisque, en 1914, le tribunal correctionnel et la cour d'appel de Bordeaux, puis la Cour de cassation (22 novembre 1914), ont fermement établi la jurisprudence en déclarant illégales les tolérances préfectorales qui vont à rencontre de la loi et en condamnant les délinquants.

Passe encore pour les ortolans et les bec-figues mais fauvettes, mésanges, chardonnerets, pinsons, rouges-queues, pouillots, etc., etc., voire même hirondelles et martinets, sont pris dans les filets à ortolans et jamais relâchés.
Michelet a, fort justement, écrit dans l'Oiseau :

« Aveugle réellement qui proscrit les oiseaux destructeurs d'insectes et protecteurs des moissons. »

Le nombre d'insectes que peut détruire et que détruit un couple d'oiseaux peut paraître exagéré, il est cependant très exact. Un lecteur du Temps a observé ceci, cette année :
« Un couple de fauvettes à tête noire (sylvia atricapilla) avait fait son nid dans une cavité du mur d'enclos de mon jardin. A la naissance des jeunes oisillons, j'ai eu la curiosité de chronométrer en quelque sorte les allées et venues des parents, apportant la pâtée de chenilles à leur famille affamée.

J'ai noté, en moyenne, deux voyages à la minute et cela depuis les premières heures du jour jusqu'aux dernières lueurs du crépuscule, c'est-à-dire durant une moyenne de quinze heures. Sans exagérer, on peut évaluer à deux insectes le contenu de chaque becquée, soit quatre insectes par minute, et 4x60x15 = 3,600 insectes ou larves détruits par jour par un simple couple d'oiseaux. A quel chiffre astronomique peut-on évaluer la quantité d'insectes détruits par cette famille durant son existence ? »

Il y a trente ans, nos vignobles jurassiens étaient égayés par le chant varié des linots. Dans chaque parcelle de vigne, dans nos petits bosquets, dans les buis du coteau, les nids abondaient, et la linotte, amie du vigneron, après avoir accompagné de son chant les rudes travaux du viticulteur, mettait encore une note de gaieté dans son modeste intérieur.
Aujourd'hui, plus de linots, ou si peu ! Par contre la pyrale, la cochylis, et autres papillons néfastes, inconnus à cette époque, pullulent et ravagent ceps et arbres fruitiers. C'est au point qu'on ne peut plus avoir de fruits sans traiter les arbres avec des produits arsenicaux ou autres insecticides coûteux et parfois dangereux.

Je sais que la linotte est un granivore, mais au moment des nichées, c'est-à-dire, comme écrivait Michelet, à l'époque où l'insecte se multiplie, ces oiseaux doivent certainementnourrir leurs petits avec des larves ou des insectes.
Ce qui est vrai du linot l'est pour tous les petits passereaux : rouges-gorges, fauvettes grises, mésanges, rossignols des murailles ou culs-rouges, etc., tous disparaissent rapidement, et nos bois, à la belle saison ne résonnent plus de leurs joyeuses chansons.


D'après Toulouse, à la saison des nids, un couple de mésanges détruit plus de 500 chenilles par jour; d'après Fabre, un seul de ces oiseaux consomme par an 300000 œufs d'insectes.
C'est avec raison que le président Méline disait :
« Je considère la conservation des petits oiseaux comme indispensable à l'agriculture. »

Que de désastres causés par les insectes nuisibles qui pourraient en grande partie être détruits par les oiseaux utiles !
Les céréales sont assaillies par les larves des hannetons ou vers blancs; plus tard, les épis sont attaqués par les charançons, cécidomyies, les chenilles de la noctuelle et de l'alucite; cette dernière plus connue sous le nom de teigne des grains.
La chenille de ce petit papillon qu'est 'la pyrale ronge les feuilles des ceps, coupe les grains, entrave da végétation.
Deux autres lépidoptères; la cochylis et l'eudemis, menacent de renouveler les calamités du phylloxera. Et combien d'autres coléoptères, le rhynchite ou lisette, l'eumolpe ou écrivain, etsurtout l'altise, sont chaque année cause de pertes de récoltes!

Des charançons percent les fleurs en boutons des pommiers; la larve d'une pyrale, différente de celle de la vigne, pénètre dans le fruit et en ronge le, cœur; les chenilles des hyponomeutes ou teignes des pommiers dévorent les feuilles et les fruits à peine formés; le puceron lanigère épuise les jeunes rameaux.
Les chenilles piérides mangent les feuilles du chou, les bruches dévorent les pois, les lentilles, les fèves; les criocères mangent l'asperge, la casside verte s'attaque aux artichauts. La mouche des olives détruit certaines années la moitié ou tiers de la récolte. Des cochenilles du citronnier et de l'oranger ont anéanti certaines années plus de la moitié de la récolte. Il' serait facile d'allonger cette énumération des ennemis de notre agriculture.
Combien aussi d'insectes sont les ennemis des arbres et des forêts! Que d'insectes xylophages portent aux arbres des coups répétés et parfois mortels! Aucune essence n'est à l'abri de leurs attaques.

Certes, la science, grâce aux produits chimiques, combat activement, lutte contre le parasitisme qui fait tant de mal à notre agriculture mais les oiseaux savent faire, sans qu'il en coûte un centime, du bon travail.
Loin de moi la pensée de dire que les oiseaux seuls nous sauveront des maux multiples dont souffre notre agriculture mais ils seront si on veut bien les protéger des collaborateurs, des auxiliaires dont l'utilité ne peut être contestée par personne.

Sans être un observateur attentif, on ne peut se faire qu'une très faible idée de la précieuse besogne qu'accomplissent journellement les oiseaux.
Certains quartiers de Paris et des grandes villes de France, certaines banlieues sont, chaque année, envahis par les moustiques les oiseaux, et principalement les hirondelles et les martinets, nous débarrasseront mieux des moustiques que tous les procédés employés jusqu'à ce jour. Il faudrait tout un volume pour parler de l'hirondelle, messagère du printemps. On disait autrefois qu'elle était l'oiseau du bon Dieu.
Ce sont des chasseurs infatigables des insectes aériens l'hirondelle travaille sans trêve de l'aurore au crépuscule.
Elle consomme chaque jour une quantité considérable de cousins, de moustiques, de moucherons, les martinets font, eux aussi, surtout une chasse acharnée aux moustiques.

Florent-Prévost nous a donné dans la revue Ornis des chiffres impressionnants. dans les estomacs d'hirondelles, il a trouvé :

Le 12 avril, 309 mouches.
Le 30 avril, 202 escarbots et diptères.
Le 11 mai, 119 aphodius et autres coléoptères.
Le 20 mai, 83 coléoptères et diptères.

Des bruches, cousins, lépismes, chrysomèles, moucherons, etc., etc. Quand on parle de de quelqu'un qui mange peu, on dit : « Il mange comme un oiseau. » On peut constater que la comparaison porte à faux.
Tout récemment, on apprenait que certaines cultures de tabac dans le Midi de la France étaient envahies par des insectes et des vers. Il y a quelques années, le journal de Mexico El Hacendado Mexicano signalait :

« Dans certaines régions du Salvador où l'on cultive le tabac, les agriculteurs ont recours à un moyen ingénieux pour protéger les feuilles contre les insectes et les vers. Un oiseau originaire des Antilles, dénommé « chompipe » et facile à apprivoiser, est lâché à certaines heures du jour sur les plantations de tabac il y détruit les insectes et les vers des feuilles avec une voracité et une exactitude surprenantes. »

» Sans ces oiseaux, certaines années, la récolte serait complètement endommagée, ou bien on devrait, pour la sauver, avoir recours à des ouvriers rares et très chers. »
Récemment, dans une propriété des environs de Paris, un pommier fut envahi par des pucerons lanigères : c'était la récolte perdue. Une fauvette à tête noire vint faire son nid sur un arbre voisin: elle a complètement débarrassé le pommier des pucerons.
Nous pourrions citer maints et maints cas semblables.

Il faut protéger les oiseaux de France: notre agriculture, notre viticulture, nos jardins fruitiers et floraux ne s'en porteront que mieux. Mais comment ?
La Société nationale d'acclimatation a, en 1910, créé une filiale : la Ligue française pour la protection des oiseaux, et des ligues semblables se sont fondées en province: parmi les plus puissantes, parmi les mieux organisées, sont les groupements qui existent en Alsace et en Lorraine.

La Ligue française pour la protection des oiseaux. a poussé, par l'attribution de prix aux instituteurs et à leurs élèves, à la fondation de sociétés protectrices des oiseaux dans les écoles et en 1922 le ministre de l'instruction publique d'alors, M. Léon Bérard, par une circulaire aux inspecteurs d'académie, les engageait à favoriser ces sociétés.
« A plusieurs reprises, écrivait-il, les instructions du ministère de l'agriculture et du ministère de l'instruction publique ont recommandé aux instituteurs et aux institutrices) publics la formation, dans les écoles, de sociétés ayant pour but de développer, chez les enfants, les Ridées de bonté envers les petits oiseaux, ces auxiliaires précieux des cultivateurs.

» Comme l'ont déjà fait quelques inspecteurs d'académie, je vous prierai de vouloir bien insister auprès de MM. les inspecteurs primaires pour que, dans leurs conférences ou leurs visites aux instituteurs, ils montrent l'intérêt considérable qu'il y a à favoriser la conservation et la reproduction des oiseaux utiles à l'agriculture.

» A cet effet, MM. les inspecteurs primaires pourraient conseiller, à titre d'expérience, la création de sociétés scolaires pour la protection des oiseaux. »

Dans une fort instructive brochure que fit paraître M. A. Legros, professeur à l'école primaire de Valenciennes, commentant la circulaire ministérielle, cet apôtre de la protection des oiseaux écrivait, très justement : « C'est par l'école, en effet, qu'on fera pénétrer dans les masses le respect de l'oiseau. Pour que les adultes le respectent, il faut qu'ils aient commencé à le faire quand ils étaient enfants. En une génération, on peut obtenir des résultats; définitifs, mais il faudra une vigilance de chaque jour. »

Et le particulier, que peut-il faire? Installer partout où il pourra des nichoirs, qui deviendront de véritables refuges, des réserves d'oiseaux. Nombreuses sont en effet les espèces d'oiseaux qui font leurs nids dans des troncs d'arbres, dans des branches creuses, dans des trous de muraille, et ce sont tous des oiseaux insectivores. Si vous mettez à leur disposition des abris artificiels où ils peuvent pondre et élever en sécurité leurs couvées, ils se multiplieront rapidement.

Dans tous les jardins devraient être placés des nichoirs artificiels, et vous verriez s'y installer des mésanges, des torcols, des sansonnets, des pics, des huppés, des sitelles, etc., etc. qui auraient tôt fait de débarrasser arbres, arbrisseaux, fleurs et légumes des insectes nuisibles. Mais il ne faut pas placer ces nichoirs, quel que soit le modèle, au hasard il faut choisir les emplacements de telle sorte qu'ils soient bien verticaux et que le trou de vol regarde plutôt un peu vers la terre que vers le ciel, les fixer solidement de façon à éviter tout
ballottement.
Quelles que soient les espèces que vous cherchiez à attirer, il faut mettre dans le fond du nichoir une couche de deux centimètres d'un tiers de terre (de bruyère de préférence) et deux tiers de sciure de bois. Et puis, pendant les hivers rigoureux, on peut aider les oiseaux à trouver la nourriture qui leur convient.

Paul Mégnin.

Donc déjà en 1932 , il avait été remarqué une diminution des oiseaux et la cause en était la chasse .
Il est vrai qu'habitant toute ma jeunesse en campagne du nord de la France , il restait encore une forte tradition au piégeage des oiseaux , mais qui s'estompait petit à petit.

Donc si je suis bien l'article , le pays risquait l'invasion des insectes : il n'avait pas prévu l'arrivée des insecticides en masse qui feraient des ravages dans les 2 camps.
J'ai quand meme l'impression (non chiffrée) que depuis une dizaine d'année , je vois un plus grand nombre de spécimens d'insectes et d'oiseaux qu'avant .

Le nombre de chasseurs ne cesse de décroitre ( et c'est tant mieux ) , de plus à de rares exeptions , les passeraux ne sont plus chassés.

Débat à suivre ....

Il existe tout de même un nombre un-considérable de chasseurs je dirais même beaucoup trop

cherchez sur le net, et vous verrez la mauvaise surprise

j'en suis même chamboulée je n'y croyais pas

DALUCHE a écrit:

J'ai quand meme l'impression (non chiffrée) que depuis une dizaine d'année , je vois un plus grand nombre de spécimens d'insectes et d'oiseaux qu'avant .

Bonsoir Daluche,

La situation des oiseaux s'est améliorée (et encore, pas toujours) pour ceux qui bénéficient de mesures de protection (comme la Directive oiseaux) et pour les espèces généralistes (espèces présentes dans des proportions voisines dans tous les types d'habitats), mais la situation reste très préoccupante pour d'autres et les espèces communes ont perdu globalement 14% de leurs effectifs en vingt ans.

cet article est très interessant !!
merci de l'avoir trouvé et partagé!

Moi aussi je le trouve intéressant!

merci